UNE ARTISTE AU MUSÉE, parcours de chorégraphe.
(texte de la communication faite auprès des étudiants de l’école supérieure d’art de Lorraine en octobre 2015)
Que peut bien faire une artiste, chorégraphe dans un musée ?
Quelle va être sa proposition, comment procède t’elle ? Quelle est sa posture ?
Il y a sûrement une grande diversité de réponses, mais je vais tenter d’affiner et de rendre sensible ma manière d’entrer au musée.
Toutes ces questions, je ne cesse de me les poser, à chaque nouvelle intervention que je dois engager. Je dirais même qu’il me semble indispensable de toujours les garder à l’esprit. Elles servent à définir la posture qui va être la mienne en tant qu’artiste, dans ce que je souhaite partager lors de cette aventure.
Les termes de « posture », « partage » et « questionnement » sont mes maîtres mots, auxquels je rajouterais volontiers, plaisir, découverte et jeu.
Déjà, il me semble important de préciser que, pour moi, ma PRESENCE, est de l’ordre de la performance. Je suis dans un acte artistique, je crée de l’imaginaire dont s’empare le spectateur, le visiteur, chacun comme bon lui semble, autour d’une œuvre, d’objets, de lieux…
Je dois préciser que je ne danse quasi jamais dans ces propositions. J’énonce des consignes, qui sont autant d’outils qui servent à ouvrir les portes de l’imaginaire, du ressenti, de la présence à soi-même et au monde qui nous entoure.
La question de la présence est le cœur de la question. En ce qui me concerne, la présence consiste en une attention, à soi, aux autres, à l’espace, à l’environnement et comment cela circule, c’est une attention au flux, au mouvement. C’est une mise en disponibilité pourrait-on dire, une ouverture pour que l’imprévu, la surprise arrive.
Ce qui explique d’ailleurs que je ne pratique pas un atelier au cours duquel je souhaiterais amener les visiteurs à un résultat. Les outils sont des prétextes à créer une disponibilité, une présence : être là, présents à ce qui advient, à ce que l’on ressent, à ce que l’on voit, à ce que l’on ne voit pas….
Pour arriver à ce moment, cette expérience, j’utilise une méthode à deux niveaux.
Le premier est une longue phase de préparation, d’examen des données qui me sont proposées. Je vais chercher quel est le fil directeur d’une œuvre, d’une scénographie, d’un ensemble d’objets (selon les circonstances). Je vais observer les qualités qui émergent, les organisations d’espaces, les renvois symboliques sensibles, identifier une fonction, …. L’important est de garder l’esprit ouvert, de laisser affleurer les ressentis, les idées, pour pouvoir ensuite créer une proposition.
Ensuite, le second point consiste à construire un parcours, une proposition avec tout ce matériau qui s’est déposé comme un limon dans mon esprit. Là je mets en route mes compétences de chorégraphe car il s’agit pour moi de construire une proposition en surimpression, ou en parallèle, selon les circonstances, avec des objets, des œuvres, ceci dans une cohérence d’espace, celui de la déambulation, puisque c’est généralement la forme que prennent mes visites, ou de séquences dansées lorsqu’il s’agit de conférences dansées.
Ceci concerne la méthode, mais celle-ci ne servirait pas à autre chose qu’à concevoir un atelier si elle ne s’accompagnait d’une posture, d’un état, qui va déterminer une qualité de présence pour soi et pour les autres et donc les mettre, du moins on l’espère, eux aussi dans un état.
Cet état concerne donc la présence, cette disponibilité, cette ouverture à ce qui arrive et qui peut aussi surprendre, amuser, étonner…Je crée une situation et chacun s’empare de mes propositions comme bon lui semble, comme il se sent. Il n’y a pas de résultat à obtenir, hormis celui d’avoir pris le temps d’être là, sans projection, sans jugement, au présent donc.
Il est donc capital que je sois dans une posture et un état de disponibilité, qui est aussi une fragilité. Il faut dans le même temps savoir ce que l’on fait et n’avoir aucune idée préconçue sur ce que cela va avoir comme effet sur les autres, donc accueillir la situation présente. C’est aussi ce que nous ressentons sur scène, c’est pour cela que je nomme mes interventions, performances.
Ceci est ma manière de procéder. Il y a d’autres façons de creuser cette question dans les outils utilisés. En fait, ils relèvent de chaque créateur. L’important est d’être en accord avec soi-même pour construire ces rencontres avec des œuvres, des objets, des scénographies, des paysages.
Je pense que c’est là mon rôle de chorégraphe, d’artiste de partager avec des visiteurs, ces moments dans les musées, les paysages, les villes….
Voilà maintenant 15 ans que je mène ces actions, d’abord dans le paysage, puis au travers de conférences dansées, et enfin dans divers musées. C’est à chaque fois un grand plaisir, une découverte, et … un gros travail de préparation pour créer une rencontre comme une conversation entre les lieux, les œuvres, les artistes et leurs productions.
Il s’agit d’une présence artistique, qui ne saurait se substituer à une médiation, à un savoir savant, mais qui peut venir en complément ou plutôt en supplément de sens pour enrichir l’expérience du visiteur au musée.
Micheline Lelièvre octobre 2015